début de Rebecca c'est moi, roman

patricia voisin Par Le 03/11/2020

REBECCA C’EST MOI

                       Patricia VOISIN

                              

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             Vers minuit, lorsqu’elle rentra du théâtre, Rebecca alluma son ordinateur : pas de message de Tom. Pas encore se dit-elle.

             Au matin, avant que le réveil ne sonne, elle interrogea encore l’écran gris. Rien. Elle savait qu’il la contacterait mais elle se troubla car les signes dans son corps recommençaient. La chamade, l’attente qui fourmille le ventre. Jusque là, elle les avait asservis tant bien que mal, mais ils reprenaient leur droit, leur place, leur force. Il fallait qu’elle soit vigilante afin de ne pas retomber dans les affres d’un passé somme toute récent et très perturbant. La douleur. L’agonie. Le lent acheminement vers la ruine. L’absolu qui demande sa dose d’adrénaline. Le manque vif, qui claque le long des cuisses.

Dès qu’il posait sa main sur elle, elle perdait tout sens commun. Même sa voix, uniquement elle, lui faisait cet effet-là. Alors évidemment, contre l’avis de tous, elle s’était abandonnée à nouveau, à ses bras, sa bouche, son corps solide. Ses mots caressaient son ventre, se perdaient dans l’humidité de son désir.

             Rebecca aurait pu se contrôler peut-être, si elle l’avait voulu. Mais elle ne le voulait pas. Elle se plaisait à retomber dans cette intimité presque oubliée, mais tant espérée, cette douceur revenue d’être avec lui, juste bien, pleine, envahie.

             Tom. Ces trois lettres comme des battements incessants : Tom Tom Tom.

             Son absence avait duré longtemps. Dans le silence : le décor n’avait pas d’importance. Il n’était plus là, c’est tout. Tom parti. Tom en allé. Presque sans un mot, en douce, un soir d’été. 

             Ca voulait dire quoi, recommencer ? Souffrir encore, pardonner ? Perdre le contrôle ? Elle s’en foutait, ce qu’elle voulait, c’était recommencer. Encore, oui, recommencer. Elle sentait ses entrailles en mouvement, son entrejambe qui s’écartait. Un message apparut sur l’écran : « je m’emmerde quand tu n’es pas là. Je t’attends. »

              C’était foutu. La petite musique de la passion s’était remise à fredonner, incessante, inaudible à tous les autres, mais si cristalline pour elle. Il revenait. Il revenait enfin.

             L’amour, ce petit mot tant galvaudé, ça avait toujours été la grande affaire de Rebecca, sa priorité, sa tragique obsession. Etre amoureuse, à tout prix, de n’importe qui finalement. Car, il fallait bien être honnête, Tom, sous sa plastique impeccable, était n’importe qui, un être vide et amoral. Sans son enveloppe florissante, il existerait à peine aux  yeux des autres, des femmes en particulier. Tout le monde en avait conscience, sauf elle. Au fond, si, elle le savait aussi mais refusait de s’en préoccuper. Elle préférait se lover dans ses bras, presque ne rien faire, se réfugier, se croire protégée. Et le leurre était immense, un désert, un no man’s land. Elle en voulait presque à ses amis, ses parents de leurs phrases ritournelles :  « il se moque de toi, il t’a trop fait souffrir, tu ne vas pas le reprendre quand même !… »

             Elle l’avait repris. Ou plutôt c’était lui : il avait tendu les filets une nouvelle fois et une nouvelle fois, elle s’était laissée prendre. Et la prendre, il savait le faire, au propre comme au figuré. Il caressait, elle jouissait, il continuait, elle jouissait encore, il pénétrait et ça recommençait. Comment ne pas croire que l’on compte lorsqu’un homme vous donne autant de plaisir ? Comment ne pas croire à ses mots, ses gestes ? Certaines femmes sont de vraies connes sentimentales et Rebecca portait leur bannière au sommet de l’aveuglement.

             Tom Tom Tom. Il n’y avait que cette musique-là, que ce rythme enchâssé au plus profond d’elle. Elle avait perdu toutes les autres mesures. Tom Tom Tom. Encore.

             Il était revenu en elle comme si de rien n’était. Le mâle en elle.

« J’ai fait n’importe quoi ». Cette pseudo excuse lui avait suffi. Ce qui comptait c’est qu’il soit là, n’est-ce pas ?

             Lorsqu’on croisait Rebecca dans la rue, on pouvait penser que c’était une belle femme de quarante ans, assez sûre d’elle, souriante et enjouée. Une femme qui mène sa vie comme elle l’entend. Pas de joug. Pas de contrainte. Une femme indépendante.

             Lorsqu’on connaissait Rebecca, on comprenait vite qu’elle était fantasque, romantique et que la réalité n’était pas sa tasse de thé. Elle voulait qu’on l’aime. Elle n’avait l’impression de n’exister vraiment que si le premier venu lui déclarait sa pauvre petite flamme. Alors elle enjolivait, transfigurait, embellissait une réalité somme toute peu glorieuse. Tom avait repéré la faille et s’y était engouffré avec beaucoup de talent. Avec tellement de talent d’ailleurs, qu’il avait comblé les vides, qu’il avait pansé les plaies. Il lui était devenu indispensable.

             Elles sont légion les Rebecca qui se laissent ainsi manipuler. C’est si facile de faire la part des choses lorsqu’on n’est pas concerné.

             Elle a acheté des jonquilles, ses affaires traînent au bord du lit, elle n’a pas la force de s’en débarrasser. Tom est parti. Encore une fois.

            

 
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